La loi du marché de Stéphane Brizé

   Cela fait bien longtemps que j’ai pris le clavier pour parler d’un film. Ne cherchez pas, ça remonte à trop loin ! Je suis sûr que vous vous attendez à un film tiré d’une adaptation littéraire. Que nenni. Je vais vous parler de « La loi du marché » de Stéphane Brizé avec Vincent Lindon qui a obtenu le césar de l’interprétation masculine pour ce rôle.

   J’ai hésité entre un article au vitriol, à la langue acerbe et des éloges. J’ai finalement décidé d’opter pour une critique pondérée qui va tâcher de réunir les deux pour tenter d’expliquer ce ressenti diffus qui vous habite après le visionnage de ce film qui dérange, chamboule.

LOI MARCHE

   Vincent Lindon joue un homme qui après avoir affronté la fermeture de son usine, subit le chômage et les méandres de Pôle Emploi. Entre rendez-vous rébarbatifs, tracas financiers et entretiens qui n’aboutissent pas, Thierry garde la tête hors de l’eau autant que possible. Jusqu’au jour où, enfin, il commence un nouveau travail : agent de sécurité dans un supermarché. Un nouveau job mais à quel prix ?

   Commençons par du positif : Vincent Lindon joue magnifiquement bien. Son césar est amplement mérité même si son personnage se joue sur un mode dramatique. Il porte tout le film, aucun personnage secondaire ne rivalise avec lui. Tout est centré sur son personnage. Il possède une incroyable capacité pour faire passer les émotions qui habitent son personnage. Il ressort de son interprétation l’image d’un homme usé, malmené, qui se relève doucement d’un combat qui l’a mis KO. Il est plein de désillusions, ne croit plus en ces institutions qui tentent de l’aider. Amer mais pas pour autant anéanti, il est en équilibre permanent, nous laissant craindre par instant de le voir sombrer dans un profond désespoir.

   L’histoire est tragiquement banale. Le licenciement économique qu’il subit renvoie à la loi du marché qui régit notre économie française mais aussi l’économie mondiale. Le profit, la rentabilité sont érigés en but à atteindre, l’homme n’est qu’un rouage dans l’écrasante machine du capitalisme. Et quand soudain, dépossédé de ce qui lui permettait d’accéder à tout le confort de la société dans laquelle il vit, l’homme se sent acculé, en marge. La situation de Thierry est, comme on le dit si bien, « précaire ».

   Mais ce film, clairement tourné comme un documentaire, va au-delà de cette économie pour s’intéresser à l’humain, cette variable en permanence ajustable, plutôt à la baisse contrairement au profit. Tout y est, de l’homme en peine qui se démène pour trouver du travail, au conseiller du Pôle Emploi qui tente de garder la tête haute malgré qu’il patauge, à la conseillère bancaire qui ne mâche pas ses pensées mais modère ses propos pour ne pas dire les choses trop crûment. De peur de blesser celui qui n’est pas seulement un client mais un aussi un homme.

   C’est la réalité nue, abrupte, brutale, sans concession, du quotidien de plusieurs millions de chômeurs aujourd’hui en France. C’est la volonté d’un homme de garder sa dignité dans un système qui vous en dépouille dès que vous y pénétrez.

   L’inhumanité ou la déshumanisation plutôt, qui ressort de ce film ne doit certes pas être généralisée mais elle ne peut être pour autant ignorée. C’est ce que nous rappelle le réalisateur. Du moins pour ceux qui l’auraient oublié. Finalement ceux qui vivent cela au quotidien ont peu de chance de voir le film au cinéma.

   Le sursaut de dignité qu’a le personnage à la fin du film interroge sur notre société marchande et non-marchande. Quel est son avenir tandis qu’elle foule aux pieds ce qui la compose ? Sait-il de quoi il parle le directeur des ressources humaines avec ses boutons de manchette quand il évoque le suicide d’une salariée ?

   A travers ce « film documentaire », le réalisateur tente une critique de la société en dévoilant ses travers. Mais… Fallait-il donc un film ovationné pour faire réaliser à tous l’ampleur du désastre humain que créée un système profondément inégalitaire ? Et sera-t-il seulement suffisant pour faire comprendre que la lutte des politiques ne doit pas être le chômage qui n’est qu’une conséquence mais contre le système qui le provoque ? Un médecin ne soigne pas que les symptômes mais la maladie qui en est à l’origine et quand le traitement n’existe pas il recherche. Depuis quand avons-nous cessé de chercher à soigner le mal qui ronge tant de gens ? Avons-nous seulement cherché, demandent les opposants au système. On peut légitimement s’interroger.

   Ce n’est pas une dénonciation uniquement du chômage mais de la précarité toute entière dans laquelle plonge ceux qui cherchent un emploi coûte que coûte. En économie on apprend une chose : quand vous êtes en période de plein emploi, le pouvoir est aux mains des employés. Quand vous êtes en période de chômage les forces s’inversent. L’employeur sait qu’il peut à tout moment vous remplacer à l’inverse de la première hypothèse. Alors ils édictent leurs règles dans leur intérêt au détriment de ceux qui s’entendent dire chaque jour « Déjà tu as du boulot. Tu as de la chance ! ». Où est la chance de nourrir un système qui n’hésite pas à vous broyer ?

   Comme vous pouvez le constater, ce film interroge. Je suis sortie de la salle, étonnée d’entendre les gens effarés de découvrir la réalité que dénonce le film. Ce dernier aura au moins la qualité de faire relativiser ceux qui ont les moyens de venir le voir. Pourvu que la réflexion qu’il suscite, l’effarement ressenti aille au-delà des 1h33 qu’il dure.

Maêlle

Fiche du film disponible sur Allociné : sortie le 19 mai 2015, de Stéphane Brizé avec Vincent Lindon, Yves Ory, Karine de Mirbeck, Matthieu Schaller…

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