La lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson

   La lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson c’est 130 pages de condensé de vie. Car à son âge, Bjarni ne veut revenir que sur ce qui a vraiment compter pour lui : l’amour. L’amour de sa vie, Helga, mais aussi l’amour qu’il porte à sa terre islandaise. 130 pages pour parler des vents polaires, des nuits glaciales, de l’herbe tendre broutée par des brebis, du travail de contrôleur des fourrages, et d’Helga. C’est une longue lettre de 130 pages, à peine suffisante pour parler de l’essentiel mais nécessaire. Une réponse attendue où le choix des mots a son importance. Bjarni raconte les conséquences d’un choix qui l’ont amenées « à suivre une voie en regardant celle d’à côté » avec envie, désir et passion. Il peut tout dire à l’âge qu’il a. Il se moque désormais du qu’en dira-t-on, il sait qu’il va bientôt s’en aller. Mais avant de partir, il prend le temps d’écrire à Helga. Et nous, nous prenons le temps de le lire.

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   Bien qu’épistolaire, l’histoire frôle le dialogue plus que l’écrit. Plusieurs fois le personnage de Bjarni interpelle le lecteur à travers la destinataire de cette lettre, avec des « Où en étais-je Helga ? ». Il s’adresse à elle dans ce qui ressemble plus à un monologue qu’à une lettre, tout au moins dans le style. Cette impression est renforcée par l’usage d’un langage parlé plus qu’écrit. Cela pourrait sembler long un discours de 130 pages mais il n’en est rien. L’histoire ne souffre d’aucune longueur car elle est émaillée d’anecdotes, de digressions qui vous font visiter ce petit bout de terre qu’est l’Islande.

   Cette façon d’écrire permet aussi à l’auteur d’éviter de tomber dans le pathos dramatique, envoyant le lecteur vers la boîte à mouchoirs plutôt que vers le plaisir de la lecture. Loin d’être moralisateur, le livre se veut le simple témoignage d’un choix impossible. Bjarni fera le choix de croupir dans sa campagne comme il dit plutôt que de vivre le grand amour. Il se contentera de connaître l’existence de ce dernier plutôt que de faire le nécessaire pour qu’il s’épanouisse. À la question du pourquoi, aucune réponse n’arrivera. Bjarni a-t-il seulement une réponse satisfaisante à apporter alors même qu’il a évité d’approfondir cette question ? Toutefois, puisque l’âge donne moins d’importance à ce genre d’introspection, il va avancer quelques hypothèses. Lui, il a connu l’amour, la passion qui vous dévore. Et peut-être, comme d’autres, en a-t-il eu peur. Sans compter qu’Helga avait posé ses propres conditions, des conditions qui ne souffraient d’aucune exception et que Bjarni ne pouvait accepter. Alors que fait-on ?

   Et bien on accepte son choix en se demandant toute sa vie si ce fut le bon. À défaut d’être consumé d’amour pour l’être aimé et de le dévoiler, vous êtes dévorés par une passion amoureuse inextinguible et invisible aux yeux des autres. Même si il assume son choix, il a conscience de devenir, après « la saison des amours de sa vie », une âme en peine qui erre et à qui il manque sans cesse quelque chose. Il comble le vide en remplissant ses mains de création, il souffre chaque jour mais fait la sourde oreille à cette souffrance. Comme il a su le faire face à cet amour.

   Et pourtant, le tour de force de cet auteur islandais qui m’était parfaitement inconnu, est de réussir à ne laisser transparaître aucun remord. Ce fut ainsi. Il y a une certaine forme de fatalité dans cette manière d’aborder la chose qui peut déplaire quelque peu. Avec le recul, il m’apparaît que l’auteur n’a certes pas de remords parce qu’il arrive de toutes façons à un âge où il n’y a plus rien à faire. Le fatalisme est une option aisée (ou évidente ?) quand on ne peut plus rien changer. Pour autant il ne dit pas qu’il fut heureux et on sent la différence entre cette saison des amours de sa vie où il a ressenti cette joie de vivre profonde, prêt à abattre un travail de dingue, et le restant de sa vie empli d’habitudes un peu mornes. À travers les mots de l’auteur, on sent que l’amour fait vivre pleinement, tout simplement.

   Bergsveinn Birgisson est un auteur qui a une plume un peu poétique. Son expression « la saison des amours de ma vie » en est la plus belle illustration. Il me semble que Erri de Luca aurait pu écrire ce genre de phrase. J’ai pris beaucoup de plaisir à le lire. La façon innovante dont il traite un sujet éculé montre le potentiel de cet auteur qui sait garder l’équilibre tout le long de son histoire. L’humour dont le personnage fait preuve par instant dédramatise l’importance de son choix et surtout les conséquences induites par celui-ci. De petites bulles d’oxygène qui aèrent le récit et lui donne une dimension plus sereine.

   Lire cette nouvelle c’est comme nager en eau trouble, on ne sait pas trop où l’on va et on peine à savoir quoi en penser quand on l’a terminée. Mais c’est justement la force de ce récit. De prime abord on se dit que c’est horrible de vivre sans amour et puis quand on a lu l’histoire de Bjarni on en vient à penser que le plus dur est de vivre avec ses contradictions, de vivre en accord avec soi-même tout simplement.

   Bjarni m’a donné l’impression de n’avoir, finalement, qu’un seul regret : de ne pas avoir réalisé l’importance de l’amour. Pas un amour romantique et niais mais un amour fort et viscéral qui vous fait avancer, vous tient debout tout au long de votre vie. Son regret n’est pas tant de ne pas l’avoir vécu toute sa vie mais de ne pas avoir su le reconnaître au bon moment. Pour autant, il est serein. Parce qu’il est trop tard. Et c’est peut-être là que réside véritablement une once de regret : le trop tard. D’où l’importance de dire les choses essentielles avant ce moment fatidique où nul ne peut plus l’entendre. De les vivre avant que la mort ne vous les ravissent.

   Dans sa vie presque trop rangée, le dénuement dont fait preuve l’auteur sert à dévoiler la force des sentiments qui habitent nos protagonistes. C’est un beau livre, que je vous conseille de lire pour ne pas regretter plus tard de ne pas l’avoir fait !

Bonne lecture.

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