La vérité sur l’affaire Harry Québert – Joël Dicker

   Ce livre est un véritable coup de cœur littéraire. Qu’il fut le 25ème prix Goncourt des lycéens n’a rien d’étonnant car il réunit tous les éléments d’un excellent livre. D’abord on y trouve une intrigue très riche et développée, étoffée par un style d’écriture pertinent, simple, fluide. À cela s’ajoute une galerie de personnages attachants mais surtout parfaits dans les rôles qui sont les leurs. Les 663 pages ne signifient pas que le livre traîne en longueur. Bien au contraire, les pages qui s’ajoutent sont un prétexte pour un nouveau développement. J’ai donc beaucoup aimé et je vais prendre le temps de vous en parler !

30 août 1975 : Nola Kellergan, jeune fille de 15 ans est portée disparue. Son corps ne sera jamais retrouvé. Printemps 2008, Marcus Goldman, jeune écrivain à succès se retrouve face à la pire chose qui peut lui arriver : il est incapable d’écrire un nouveau livre. Il est pourtant soumis à un implacable délai qu’il voit se rapprocher inexorablement sans pourtant parvenir à produire la moindre page écrite. Désespéré, il se tourne vers celui qui lui a tout appris : Harry Québert. Écrivain réputé dans toute l’Amérique, ce dernier se voit néanmoins brutalement accusé du meurtre de la petite Nola Kellergan dont le corps a été retrouvé. Convaincu de son innocence, Marcus se rend à ses côtés et décide d’enquêter. À ses risques et périls ainsi qu’il va vite le découvrir…

   La quatrième de couverture laisse augurer une intrigue policière mais ce livre ne se réduit pas seulement à la résolution d’un meurtre vieux de 33 ans. C’est un livre qui parle avec beaucoup de force des liens qui unissent les gens entre eux, mais également celui qui unit le lecteur à un auteur. La vérité sur l’affaire Harry Québert est un livre sur les gens. J’ai beaucoup aimé la relation entre le héros, Marcus Goldman et son mentor Harry Québert. Une relation approfondie tout le long du livre notamment grâce à des flashbacks qui nous permet de savoir comme est née cette relation et ce qu’elle a apporté au personnage principal. C’est une lecture dynamique, nous plongeant tour à tour dans l’actualité et dans le passé, mémoire indispensable pour comprendre ce qui se passe en 2008, au moment où se déroule l’histoire.

   L’auteur fait le choix d’une intrigue qui se déroule dans un petit village du New Hampshire, Aurora. Ce livre est un peu comme une pièce de théâtre à huis clos. On se doute que le coupable est l’un d’entre eux, on imagine tout, on suit les pistes que Marcus va découvrir, on fait des liens, on essaie de comprendre. Le lecteur est totalement happé, embarqué dans cette enquête menée par un homme convaincu de l’innocence de celui qui l’a aidé à devenir ce qu’il est. Heureusement qu’il est aidé par le sergent Gahalowood prêt à l’écouter et à suivre ce qu’il propose malgré son opposition farouche à lui reconnaître une quelconque légitimité d’enquêteur. Marcus est pour lui « L’écrivain » et le demeurera. C’est lui le policier qui doit enquêter. Gahalowood nous apparaît comme un homme droit, honnête et sincère qui assumera les choix qu’il fera autant que les découvertes. Il sera un appui pour Marcus et inversement. À côté des relations pré-établies et des histoires qui existent depuis plusieurs années, on assiste à la naissance d’une amitié entre ces deux hommes. L’origine de leur rencontre est quelque peu sordide mais les affres par lesquels ils vont passer vont les unir dans un seul but : trouver qui a tué Nola.

   Tout le livre est axé sur cette intrigue : rechercher le meurtrier de la jeune Nola Kellergan. On en vient à soupçonner tout le monde et personne. Pleine de rebondissements, de déductions, d’hypothèses, ce pan de l’histoire est tout simplement parfaitement maîtrisé et rondement mené par l’auteur. J’ai été agréablement surprise de voir le souffle, l’énergie qui transparaissaient durant cette enquête. Les amateurs de policier aimeront certainement cet aspect du livre.

   Ce roman mélange le suspens d’une intrigue policière avec une incroyable histoire d’amour contée par Harry Québert. Grand écrivain encensé, il va devenir très rapidement, l’homme le plus détesté de l’Amérique. Pourquoi ? Pour avoir aimé une jeune fille de 19 ans sa cadette. Harry Québert est un homme plein de passion. Et il aimera passionnément. Une seule fois. S’attachera à cette histoire les regrets de ne pas avoir pu la vivre pleinement alors qu’ils étaient sur le point de le faire. Marcus est un esprit plus rationnel, moins poétique. Mais il va croire en cette histoire d’amour là où beaucoup ne voit qu’un esprit tordu… Pourquoi ne pourrait-on pas aimer dans de telles circonstances ? Et pourquoi une jeune fille ne pourrait pas aimer un homme plus vieux qu’elle ? Marcus sera le défenseur d’Harry, celui qui veut montrer que tout cela est possible. La société ne l’avalise peut-être pas mais ce n’est pas cela qui empêche une histoire d’amour d’exister. Et de vouloir être vécue. J’admire la façon dont l’auteur use de ce personnage pour dévoiler toute la passion amoureuse qui peut exister entre deux individus. On est porté par la force qui se dégage de cette relation amoureuse. Parfaitement racontée sans tomber dans le mélo, l’histoire d’amour décrite par Harry Québert est un élément essentiel du livre. Au moins autant que l’intrigue policière puisque les deux sont étroitement liés.

« Il attendait avec ferveur et espoir : elle reviendrait. Et ils partiraient ensemble. Ils seraient heureux. Elle était la seule personne qui ait jamais donné du sens à la vie. Qu’on brûle les livres, les maisons, la musique et les hommes : rien n’important pourvu qu’elle soit avec lui. Il l’aimait : aimer voulait dire que ni la mort, ni l’adversité ne lui faisaient peur tant qu’elle serait à ses côtés. Alors il l’attendait. Et lorsque la nuit tombait, il jurait aux étoiles qu’il attendrait toujours. »

   Mais Harry est aussi un écrivain passionné. Chaque début de chapitre est un extrait d’une conversation qui s’est tenue entre Marcus et Harry tandis que le second apprenait au premier à devenir écrivain. Il parle de son propre métier et le transmet à son apprenti avec une ferveur qui ferait devenir écrivain à peu près n’importe qui un tant soit peu motivé.

«  Qui ose, gagne, Marcus. Pensez à cette devise à chaque fois que vous êtes face à un choix difficile. Qui ose, gagne. »

   Personnage essentiel, Harry Québert n’est pas le seul à être important. On réalise petit à petit que tous les personnages rencontrés au début sont voués à être développés par la suite et à prendre une ampleur de plus en plus grande. L’histoire d’amour comme l’intrigue policière va affecter toute la petite communauté d’Aurora. Et vous, vous naviguez au gré des pistes étudiées par les personnages principaux.

   L’enquête est intense, les rebondissements nombreux à toutes les stades de l’histoire. Extrêmement bien ficelée, écrite, La vérité sur l’affaire Harry Québert est un livre d’une grande qualité. Mêlé le passé à l’actuel pour mieux comprendre les tenants et aboutissants permet aussi de garder un bon rythme dans le déroulement de l’histoire.

   D’autres personnages gravitent autour du huis clos d’Aurora. L’éditeur de Marcus en fait parti. On le trouve abject. Il vous répondrait qu’il fait son boulot. Requin parmi les requins, il use des médias pour promouvoir, monte des hypothèses de toutes pièces, détourne des propos. Il travaille dans l’intérêt de la maison d’édition et surtout des actionnaires qui en sont détenteurs. Sans scrupules, il est pourtant indispensable à Marcus qui tire ses revenus de l’édition de ses livres. Bien qu’il désapprouve les méthodes, il ne peut pas se passer d’un tel homme. À son grand damne. Est rattaché à lui son agent qu’on découvre peu courageux quand il s’agit d’aider un de ses écrivains. Mais il fera de son mieux face à un Marcus qui veut essayer d’insuffler un peu d’honnêteté dans un milieu où le mensonge, l’hypocrisie et le paraître règnent en maîtres.

   L’avocat d’Harry Québert se révèle particulièrement abject… Je vous laisserai découvrir en quoi, en parler plus avant serait vous dévoiler ses pensées. Mais très rapidement vous comprenez que cet homme n’a d’utilité que pour tâcher de sauver la tête à son client. Ne lui demandez pas d’être humain ou compréhensif. C’est peine perdue. Pourtant la justice devrait être humaine… Une justice américaine qui s’empresse d’accuser, de montrer du doigt, de détruire la vie d’un homme sans scrupules. Relayée par les médias qui déforment les dires et donnent à une affaire des certitudes qu’elle ne possède pas, un air scabreux qui n’a rien à voir avec le fond. Les médias font et défont les vies, les réputations sans se poser de questions. Derrière leur volonté d’informer, il y a surtout celle de vendre un maximum pour contenter les actionnaires qui les tiennent… Dure réalité dont Harry Québert mais aussi Marcus vont faire les frais.

   Un petit mot rapide sur la mère de Marcus, personnage complètement à part et loufoque. Elle apparaît à certains moments du livre, toujours par le biais de communications téléphoniques. Elle tient des propos à Marcus qu’on pourrait qualifier souvent de stupides voir carrément idiots. Je ne sais pas trop l’intérêt d’un tel personnage… Si ce n’est une petite pause dans le rythme effréné que suit l’histoire.

   Vous l’aurez compris, c’est un très bon livre. Dès que je l’ai commencé, je n’ai plus voulu le lâcher. Il m’a suivi partout et je l’ai dévoré dès que j’ai eu un moment. Prêté par ma fan de psychopathe préférée, je la remercie beaucoup car ce fut une excellente découverte. Et maintenant, à vos livres !

Bonne lecture.

Quelques extraits pour le plaisir :

« […] Un jour, il rentre chez lui et il dit à sa femme qu’il s’en va, qu’il a trouvé l’amour, avec une universitaire de Harvard en âge d’être sa fille, rencontrée lors d’une conférence. Tout le monde a dit qu’il avait pété un plomb, qu’il recherchait dans cette fille une seconde jeunesse, mais moi, je crois qu’il avait simplement rencontré l’amour. Des gens croient qu’ils s’aiment, alors ils se marient. Et puis, un jour, ils découvrent l’amour, sans même le vouloir, sans s’en rendre compte. Et ils se le prennent en pleine gueule. À ce moment-là, c’est comme de l’hydrogène qui entrerait au contact de l’air : ça fait une explosion phénoménale, ça ravage tout. Trente années de mariage frustré qui pètent d’un seul coup, comme si une gigantesque fosse septique portée à ébullition explosait, éclaboussant tout le monde aux alentours. La crise de la quarantaine, le démon de midi, ce sont juste des types qui comprennent la portée de l’amour trop tard, et qui en voient leur vie bouleversée. »

« Elle se blottit contre lui et pénétra son regard de ses yeux éclatants.
– Harry, enfin, il y a tellement de gens autour de vous !
– La solitude me tue, Nola.
– Je vais vous tenir compagnie, alors.
– Tu ne devrais pas…
– J’en ai envie. Sauf si je vous dérange.
– Tu ne me déranges jamais.
– Harry, pourquoi les écrivains sont-ils des gens si seuls ? Hemingway, Melville… Ce sont les hommes les plus seuls du monde !
– Je ne sais pas si ce sont les écrivains qui sont seuls ou si c’est la solitude qui pousse à écrire…
– Et pourquoi les écrivains se suicident-ils tous ?
– Tous les écrivains ne se suicident pas. Seulement ceux dont on ne lit pas les livres.
– J’ai lu votre livre. Je l’ai emprunté à la bibliothèque municipale et je l’ai lu en une nuit ! J’ai adoré ! Vous êtes un très grand écrivain, Harry ! Harry.. cet après-midi, j’ai chanté pour vous. Cette chanson, je l’ai chantée pour vous !
Il sourit et la regarda ; elle passa sa main dans ses cheveux avec une tendresse infinie avant de répéter :
– Vous êtes un très grand écrivain, Harry. Vous ne devez pas vous sentir seul. Je suis là. »

« Il était environ vingt-trois heures lorsque je rentrai à Goose Cove. En m’engageant dans le petit chemin de gravier qui menait à la maison, je vis apparaître, dans le faisceau de mes phrases, une silhouette masquée qui prit la fuite dans la forêt. Je freinai brusquement et bondis hors de la voiture en hurlant, m’apprêtant à me lancer à la poursuite de l’intrus. C’est alors que mon regard fut attiré par une intense lueur : quelque chose brûlait près de la maison je courus pour aller voir ce qui se passait : la Corvette de Harry était en feu. Les flammes étaient déjà immenses, et une colonne de fumée âcre s’élevait dans le ciel. J’appelai à l’aide, mais il n’y avait personne. Il n’y avait que la forêt tout autour de moi. Les vitres de la Corvette explosèrent sous l’effet de la chaleur, la tôle se mit à fondre et les flammes redoublèrent, léchant les murs du garage. Je ne pouvais rien faire. Tout allait brûler.»

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