Montedidio – Erri De Luca

   J’ai eu une envie de poésie. Une envie irrépressible de lire Erri De Luca, de me faire envelopper de douceur littéraire. C’est le souvenir que j’avais de ma précédente lecture de l’auteur Les poissons ne ferment pas les yeux. Mon choix se porta sur Montedidio. Encore un récit parlant d’une tranche de vie : j’ai l’impression qu’Erri De Luca saisit une tranche de vie, un tempo du cœur comme certains attrapent des papillons et les étudient. C’est avec une quasi tendresse que l’auteur nous conte une histoire. Erri De Luca esquisse des personnages et semble les regarder grandir avec vous. Il couche les mots sur les pages en les déposant avec la douceur d’une plume. Erri De Luca c’est un moment de poésie plein de tendresse. Et ça fait du bien…

Montedidio

   C’est l’histoire de Rafaniello, de Mast’Errico et d’un gamin de Naples durant les années 60. Si proche et pourtant si lointain tant la manière de vivre est radicalement différente de celle que nous connaissons aujourd’hui. Encore une fois, Erri parle de cet amour naissant dans le creux de l’adolescence. Toute l’histoire est écrite à la première personne du singulier. Vous vous glissez dans la peau de ce gamin de Naples qui a arrêté l’école pour aller travailler. Mais pas n’importe comment… On ne le jette pas ainsi dans le monde du travail. Son père l’a confié à un ébéniste pour un apprentissage. On prend son temps et le temps d’apprendre. Comme Erri De Luca prend le temps de vous conter une histoire. Il ne développe pas toute une histoire, c’est inutile. Il saisit seulement ce moment essentiel, ce moment unique et si important où vous muez. Où votre corps d’enfant se transforme. Vous arrivez à ce moment charnier de la vie. Pour un jeune garçon de 13 ans, c’est devenir un homme, se faire accepter comme tel. Voir les muscles se former, la voix se transformer, son corps devenir un autre corps. Erri De Luca parle de l’adolescence avec la même pertinence que dans son précédent livre.

   La métaphore du boomerang, tel l’enfant qui quitte le nid pour devenir un homme, accompagne notre jeune compagnon jusqu’au dénouement. Erri sait manier les mots mais pas seulement, il manie aussi toutes les figures de style. Et il vous enchantera en laissant au gré des pages, des phrases en napolitain. Car notre jeune homme a la chance d’avoir étudié. Il sait parler l’italien, cette langue officielle et noble. Mais il parle aussi napolitain, le dialecte et la langue de ses parents. Alors l’italien devient français grâce à l’excellente traduction de Danièle Valin et le napolitain reste tel quel. C’est une agréable façon de vous immerger dans ce pays en vous faisant lire cette langue chantante qui, même à l’écrit, nous éclaire de soleil italien.

   J’ai retrouvé un Erri plein de douceur mais aussi découvert un Erri empreint… De fantastique. Rafaniello, si beau personnage, marqué par son exil forcé après la guerre. Ce juif qui voulait aller à Jérusalem mais s’est arrêté à Naples pour chausser tous ces italiens qui se promène nu-pieds. Je me suis attaché à cet homme si généreux et simple. Et bossu. Mais une bosse salutaire qui renferme un grand secret que seul les initiés comme notre jeune héros peuvent comprendre. J’ai aimé ce peuple napolitain à la fois rebelle et accueillant, faire de cet homme un des leurs. Et notre héros imaginer ce que cette bosse pouvait contenir. Du rêve au milieu des machines à bois et de la sciure.

   Et vous avez ce petit bout de femme qui apparaît, Maria. Si forte et faible à la fois, trouvant dans les bras de ce jeune adolescent un amour à sa taille. Un amour de son âge, loin des mains baladeuses d’un propriétaire préoccupé par son argent dont il peut subitement se passer pourvu que Maria devienne le loyer. Elle aussi m’a beaucoup plu.

   Alors voilà, Erri De Luca fait parti de ces auteurs capable de vous parler en 230 pages, de l’adolescence, de la mort via la perte d’un être cher, de l’éducation, de l’apprentissage de la vie comme du travail, de l’amour, le tout avec une douceur incroyable. Les sujets les plus durs, les plus compliqués deviennent limpides quand cet auteur vous en parle. Je suis admirative et totalement conquise par sa plume.

   Je réalise qu’après tant de lignes, je ne vous ai presque rien dit. Mais Montedidio ne se raconte pas. Je crois que les livres d’Erri De Luca ne se racontent pas. Ils se vivent, se ressentent, se découvrent. C’est un apprentissage, une évolution à laquelle on assiste et à laquelle je vous invite à assister pour mieux comprendre en quoi cet auteur est un grand auteur.

Bonne lecture !

Montedidio a été récompensé par le Prix Femina étranger 2002.

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